Archeologie Centrafricaine | Du Passe Vers L’avenir


Archeologie Centrafricaine | Du Passe Vers L’avenir

Archeologie Centrafricaine | Du Passe Vers L’avenir

Dr Félix YANDIA, historien et archéologue


La République Centrafricaine est un état, une nation aux multiples expériences démocratiques toujours avortées. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, malgré un appel de la population pour un véritable changement, pourquoi les processus démocratiques n’ont-ils jamais été menés à leur terme dans ce pays ? Alors, comment vouloir un changement en conservant par ailleurs les mêmes acteurs politiques et les mêmes anciennes pratiques politiques politiciennes ? Ce pays a t-il une identité nationale après bientôt un demi-siècle d’indépendance ? Les conditions de transmission de ses valeurs sont-elles réunies dans cette nation ? Quels sont le rôle et la place des partis politiques, de l’Etat et de la société civile dans la gestion et la transmission de ces valeurs, mais aussi de cette identité ? Ces valeurs sont-elles prises en compte dans nos différentes démarches, politiques ou sociales et culturelles ? Comment peut-on envisager et parler de changement politique si les hommes eux-mêmes ne modifient pas leurs comportements et leurs discours ? Est-ce la Politique elle-même qui doit changer en elle-même ou bien sont-ce les hommes et les femmes qui font cette politique qui doivent évoluer ? Cette communication est donc destinée à contribuer à la définition d’une identité nationale, fondement de tout processus de développement et de concorde nationale. Pour situer mon propos, je me permets de reprendre ici deux définitions, bien que élémentaires, et pourtant inculquées aux élèves de collège dans un pays de grande démocratie comme la France.

Etat : territoire délimité par des frontières, sur lequel s’exerce un pouvoir politique souverain et où des règles communes organisent la vie en société.

Nation : communauté humaine qui partage une même culture -et affirme sa volonté de vivre ensemble, - qui partage une même histoire, une même langue, - un même sentiment d’appartenir à un groupe - et une volonté commune de prise de conscience de l’identité nationale.

Je commencerai cet exposé par une série d’interrogations qui, j’espère, ne manquera pas de d’interpeller nos consciences.

La République Centrafricaine, située au cœur du continent africain, couvre une superficie de 623 000 km2 (plus grande que la France) pour une population d’environ seulement 3,6 millions d’habitants (même pas la population d’un seul département français, encore moins d’une ville comme Lyon). Les conditions naturelles, depuis les temps reculés, y ont toujours été favorables à l’établissement et à l’épanouissement des communautés humaines. Les recherches anthropologiques et archéologiques montrent qu’à différents endroits du pays les différentes phases de l’évolution de l’humanité, de manière continue, y sont présentes. Le vide oubanguien soutenu jusque là n’a donc jamais existé. Les théories de migrations et d’installations récentes des populations actuelles ne sont qu’une vue de l’esprit.

En effet, au moment de la pénétration européenne, ce territoire était peuplé par des groupes de populations qui sont les mêmes aujourd’hui. La majorité de ces populations Sango, Gbaya, Gbaka, Banda…) a en commun d’appartenir à une même famille linguistique appelée oubanguienne. Les Européens avaient donc rencontré des populations sédentaires, maîtrisant parfaitement leur environnement. C’est le cas des populations de " la route du Tchad " ou encore des populations riveraines de l’Oubangui où cette adaptation et cette connaissance séculaires du milieu naturel leur ont permis de se mettre au service des différentes missions d’explorations et installations coloniales ou parfois de les affronter vigoureusement.

La question qui pourrait préoccuper les Centrafricains aujourd’hui est celle de comprendre les postulats qui ont présidé aux bases de l’écriture de l’histoire de leur pays, la République Centrafricaine, et de chercher à comprendre dans quelle mesure ces postulats n’ont pas profondément influencé leur vie post coloniale.
  1. - Pour cela, on pourrait se demander dans quels intérêts, et sur quelles bases, étaient conçues et formulées les principales théories du peuplement et des migrations qu’auraient connus ou effectués tel ou tel groupe de populations et son arrivée quasi simultanée avec le colonisateur.
  2. - Nous sommes aussi en droit aujourd’hui de nous demander si les intentions étaient saines et les méthodes objectives et quelles conséquences, positives ou négatives, elles ont pu avoir sur le comportement individuel et collectif du Centrafricain d’aujourd’hui.

Il nous faut d’abord voir le contexte dans lequel cette histoire a été progressivement construite.
Une histoire légendaire

La grande référence de l’histoire centrafricaine reste, pour beaucoup d’historiens centrafricains, la thèse de P. Kalck (1959 et 1974). Or, si la partie consacrée par cet ami de la RCA aux périodes historiques, coloniale et post-coloniale, reste une véritable référence pour l’histoire centrafricaine, celle relative à l’histoire ancienne constitue en revanche et selon ses propres termes, " une solution de facilité ", avec des lourdes conséquences quant à la construction de l’identité nationale centrafricaine.
En effet, la question de l’origine des populations centrafricaines constituait déjà une des préoccupations majeures des différents explorateurs de la fin du 19ème siècle. Dans leur démarche, et systématiquement, ils procédaient par comparaison des coutumes et des mœurs des différents groupes de populations rencontrées, faisaient des rapprochement avec ce qui était déjà connu ailleurs en Afrique, notamment sur les populations de la vallée du Nil. Ce qui n’était que de simples spéculations formulées par ces derniers étaient reprises par l’administration coloniale avant de se trouver cristallisé à partir de 1959 par la thèse de Pierre Kalck. Dans une formulation incompatible avec les données anciennes et récentes de la recherche scientifique, les légendes sont admises comme Histoire de la République Centrafricaine.


Ainsi, selon A. M. Vergiat (1937 :37), les traditions Mandja " recueillies permettent d’affirmer que dimba le génie d’eau, matérialisé par un serpent d’eau aurait prêté son dos pour le passage des Mandja " sur l’Oubangui. Aussi, on apprend que les groupes de populations tels que les Banda, les Nzakara, les Zandé, les Sango, tous originaires du Darfour, ne seraient arrivés sur le sol centrafricain qu’entre 1830 et 1840. Les Gbaya chassés de l’Adamaoua par les Foulbés ne seraient, quant à eux, venus que vers 1870. Il faut noter que dans les livres d’histoire des collèges et lycées du Cameroun, les Gbaya sont venus de Centrafrique. De même, pour l’écolier gabonais, les populations Fang étaient venues à la fin du 18ème siècle du territoire actuel de la République Centrafricaine. C’est aussi curieux de voir les Zandé partir des régions du lac Tchad vers le XVIII ème siècle pour occuper un vaste territoire allant des régions oubanguiennes au Barh el Ghazal soudanais en passant par l’Ouellé congolais et y fonder une dynastie qui a vu plus d’une cinquantaine de rois se succéder avant le roi Bangassou que nous connaissons tous. Il n’est pas rare d’écouter, de la bouche même de certains Centrafricains désabusés, des reproches envers ces ancêtres peu soucieux qui ont migré pour s’installer dans un pays tel que la République Centrafricaine.

Il faut dire que nombres de préjugés inculqués par l’éducation allaient profondément influencer, en dépit de leur bonne volonté, les travaux de ces Européens. Lorsqu’on sait que l’histoire médiévale de l’Occident est fortement dominée par les questions des migrations barbares, on comprend alors l’influence de cette histoire sur la pensée de leurs auteurs. De plus l’histoire de l’Europe est celle des grands hommes politiques, des grandes réformes économiques…. Or l’histoire africaine d’une manière générale, et centrafricaine d’une manière particulière, est une histoire sociale, une histoire des villages, une histoire de la vie quotidienne, bien différente de la mentalité européenne.

Une adaptation inadaptée

Au cours des 30 premières années d’indépendance, la répartition ethnique sur laquelle s’appuyaient les Européens allait évoluer vers une division territoriale sur la base du milieu naturel. Ainsi, trois principaux groupes ont été définis, à savoir : les populations de savane, les populations de forêt, et les populations riveraines de l’Oubangui. Il fallut attendre l’avènement de la démocratie pour voir apparaître les notions de Nord et de Sud qui opposèrent la population centrafricaine à elle-même. Dans ce contexte, la naissance de plus d’une cinquantaine de partis politiques allait reproduire le premier schéma ethnique, tel que dessiné par les explorateurs. Chaque sous groupe (ethnique) devait posséder son parti et son leader et cela souvent au détriment d’une vision nationale.

Pour conclure, je cite ici un chercheur français, Pierre Vidal, archéologue, qui a travaillé durant des années en Centrafrique, et qui, à propos de notre beau et cher pays, la République Centrafricaine, écrivit ceci : " Il n’y a pas et il n’y a pas eu un être humain physiologiquement sain sans posséder l’idée de la durée, du temps écoulé depuis les premières années de sa vie… Il a vécu des évènements qui sont fixés par sa mémoire, et d’une manière ou d’une autre, ces évènements sont situés dans le temps de sa vie passée. Ce faisant, il a le sens de son histoire personnelle qui est en partie celle du groupe d’individus qui l’entourent et sans lesquels il ne serait pas homme" (1982). C’est donc le sens de cette histoire qui va contribuer à façonner son avenir, et donc celle de la collectivité dans son ensemble. Il faut donc cesser de vivre avec une histoire falsifiée, et adopter une histoire réelle, dynamique, où chaque conscience serait mise à contribution. Ainsi, au travers de cette citation, je crois que nous n’avons pas le droit de laisser tomber dans l’oubli notre mémoire collective, notre histoire commune. Nous avons cependant le devoir de renforcer notre identité nationale pour continuer à vivre ensemble et en harmonie. Aussi, je crois que les Centrafricains, hommes de la politique et de la société civile, devraient œuvrer pour un bien être national, et sortir de la langue de bois et du calcul politicien en adoptant une politique digne d’une nation ambitieuse et respectable, par de nouveaux comportements, envers et sur cette terre de nos ancêtres, d’où " la voix nous appelle ".

Histoire de la République Centrafricaine - sangonet (mise en ligne: 08 décembre 2005)

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