Contribution a La Problematique de L’independance de La Republique Centrafricaine


Contribution a La Problematique de L’independance de La Republique Centrafricaine

Contribution a La Problematique de L’independance de La Republique Centrafricaine
Jean Claude LENGA1

AVERTISSEMENT: la première version de cette contribution fut présentée, sous forme de conférence, lors de la journée Boganda organisée par le MDI-PS en 1997, en France à Montreuil (93).

Introduction
A l'aube du troisième millénaire, le Centrafrique s'apprête à franchir le seuil des quarante ans de son existence souveraine post-coloniale. Les acteurs ou ténors de l'accession du pays à la souveraineté nationale constateront peut-être que le temps s'est écoulé très vite. Évidemment, personne n'est maître du temps - sa notion est aléatoire et variante en fonction tant du milieu que de la perspicacité de la dynamique culturelle dominante. Politiquement et économiquement, le marquage temporel permet une lecture critique d'un parcours en vue d’en dégager les acquis positifs et de récuser le "panier" négatif. C’est en relation très intime avec cette logique indéniable que les acteurs et témoins de l'indépendance centrafricaine s'interrogent de son apport réel aussi bien sur l'évolution sociale de la population que de l'ampleur des maux dont souffre le peuple centrafricain. Cette interrogation essentielle trouve aussi son écho auprès de la nouvelle génération, raison évidente de notre contribution à la problématique de l'indépendance nationale et de sa pertinence.

Au regard de l’Histoire africaine, le thème ne saura exclure des éléments transnationaux voire supranationaux d'appréciation rétrospective et perspective. Néanmoins en cadrant le sujet, il n'y a pas lieu de faire un bilan trentenaire exclusivement de la souveraineté nationale, mais par un jeu de raccourci, il est à constater globalement que la situation nationale n'est pas réjouissante.

En raison de ce constat, quels sont les mécanismes politique, économique, juridique et périjuridique prétendument nécessaires à la construction nationale et à la consolidation des acquis démocratiques. Pour y répondre, privilégiant une dynamique historique, il convient de jeter le regard sur les prémices d'une transition notable vers la souveraineté nationale pour mieux apprécier l’actualité de l’enjeu.

I - PREMICES DE LA DECOLONISATION NEGRO-AFRICAINE, DE L'INATTENDU

A L'ESSOR AU PLAN INTERNE
Le meilleur instrument juridico-historique et présent à saisir les méandres de l'avènement des indépendances dans l'Afrique francophone est le constitutionnalisme français. Une saisissante lecture est à encourager.

A) Une évolution constitutionnelle contradictoire et incertaine
L'évolution institutionnelle française de 1793 à 1958 n'entrevoyait pas la possibilité juridique explicite des colonies à accéder à l'indépendance2. Les maîtres mots étaient l'Union française puis la Communauté.

En reconnaissant en son article 3 inscrit au Titre Premier que la France est divisée en départements de l'Ain à l'Yonne, la Constitution révolutionnaire de 5 Fructidor An III (22 août 1795) précise un peu plus loin (art. 6) que les "colonies françaises sont parties intégrantes de la République française et sont soumises à la même loi constitutionnelle." Théoriquement, les colonies bénéficient des mêmes droits et devoirs que les métropolitains, sans aucune discrimination. Au plan de la supralégalité, c'est une avancée remarquable. Malheureusement la réalité est tout le contraire. Les textes constitutionnels du Consulat puis de l'Empire marqués par les chartes du 22 Frimaire An VIII (13 déc. 1799), du 16 Thermidor An X (4 août 1802) et du fameux sénateur-consulte organique du 28 Floréal An XII (18 mai 1804) faisant du premier consul de la République (Napoléon Bonaparte) empereur français, étaient dans son ensemble silencieux sur les statuts juridiques des colonies. L'ambition de Napoléon Bonaparte était manifestement la conquête de l'Angleterre et de la Russie que de s'intéresser de près à des lointaines colonies. Le 18 juin 1815 la défaite de Waterloo sonna le glas de la déchéance de l'Empire. Louis XVIII revient à Paris en juillet 1815 et remet en vigueur la charte de 1814. Elle marque une régression par rapport à la Constitution du 22 août 1795. Car, la sphère coloniale est régie par "des lois et des règlements particuliers" (art. 73) au lieu de la Constitution elle-même. La charte constitutionnelle du 14 août 1830 confirme cette régression. Allant dans le même sens, la Constitution de la deuxième République du 4 nov. 1848 laisse entrevoir la possibilité juridique de renouer à la tradition régulatrice supralégale d'avant. En ses dispositions particulières notamment en son article 109, elle stipule que "le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une loi spéciale les place sous le régime de la présente constitution."

Le second Empire reste tout autant silencieux que l'ère bonapartiste sur la gestion constitutionnelle des colonies. Née des cendres du second Empire, la IIIè République dont la durée de vie est de plus de 70 ans donna à la France des textes fondamentaux des libertés et de la laïcité. Mais les colonies n'en constituaient guère une préoccupation juridique sérieuse. Il en est de même pour le gouvernement de Vichy qui se tourne vers la collaboration avec l'Allemagne nazie.

L'évolution de l'Union française vers la Communauté est marquée par la volonté subtile de récompenser les colonisés qui ont combattu à côté des alliés pour défaire la civilisation occidentale du nazisme sans franchir le pas de l'indépendance. La Constitution du 27 oct. 1946 reconnaît que la France forme, avec les peuples d'Outre-mer une "Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs sans distinction de race ni de religion". En outre, il précise que cette Union est composée des nations et des peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. La Constitution octroie aux peuples colonisés la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires. Elle les soustrait de tout arbitraire En reprenant l'essentiel du préambule de 1946, la Constitution de la Vè République fait du domaine de la compétence de la Communauté la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, des matières stratégiques. Les agrégats de la souveraineté nationale relèvent du domaine exclusif de la communauté incarnée par le président de la République française.

En somme, vous comprenez sans détour qu'il ne faut pas chercher dans le constitutionnalisme fronçais, la moindre trace de la volonté des politiques pour libérer l'Afrique et la rendre aux Africains. C'est aux Africains aidés par l'environnement international d'accéder à la souveraineté nationale et d'assumer leurs libertés fondamentales.

B) La marche forcée vers la souveraineté nationale
Le paradoxe de la fin des années 50 est que la plupart des leaders politiques africains francophones ont trouvé un modus vivendi dans le cadre de la communauté instituée par la Constitution du 4 oct. 19583. Comme le souligne Simon Louis Formery, Conseiller de tribunal administratif et enseignant à l'Institut d’Études Politiques de Paris dans son livre La Constitution commentée, qui à l'issu du référendum de 1958, à l'exception de la Guinée qui opte pour l'indépendance, l'ensemble des colonies africaines de la France accède au statut d'État membre de la communauté. Et, d'ajouter que cette situation ne devait pas durer plus de dix-huit mois, et, au cours de l'année 60, l'indépendance pure et simple des États d'Afrique se substitue au subtil régime institutionnel de la Communauté.

A vrai dire, si Sékou Touré voulait l'indépendance immédiate et préférait "la liberté dans la pauvreté à la richesse sans dignité", un grand nombre de leaders africains avaient peur de se jeter dans l'inconnu. Ils confortaient alors de Gaulle appuyé par Houphouët et Foccart, dans son attachement à la Communauté. D'ailleurs à propos de l'indépendance de Guinée qui peut faire des émules, de Gaulle précise le fond de ses idées : "L'indépendance, vous pouvez la prendre quand vous voudrez, avec évidemment toutes les conséquences. Ce que je vous propose, c'est que nous continuons notre chemin ensemble dans une communauté qui permettra à /a France de poursuivre son action ici, de vous aider. Si vous voulez partir plus tard vous pouvez toujours le faire." La communauté dans sa diversité culturelle et géographique devient pour les futurs États africains un statut, non définitif mais évolutif, qui terminerait un jour par l'indépendance ou l'intégration volontaire.

Au plan purement africain, les germes de la décolonisation se trouvent dans le mouvement de la négritude qui milite pour un retour à la source et à l'épanouissement social, intellectuel et politique de l'homme noir. La libération de l'Afrique soumise aux exactions coloniales devient une urgence et un combat de tout instant. Sa traduction sur le terrain politique se fait par des leaders nationalistes charismatiques tels NKrumah, Lumumba ou Boganda, des initiateurs à différent degré du panafricanisme.

Les deux guerres mondiales ont une influence déterminante sur les mentalités métropolitaines. Pour les occidentaux, la guerre contre l'Allemagne était faite pour le droit, la liberté des peuples, les principes démocratiques. Le président des États-Unis, W. Wilson, professeur de droit, disciple des philanthropes et humanistes de la fin du XVIIIe siècle prône pour chaque peuple, la liberté de son destin et de se gouverner lui-même. Il fait sienne selon Henri Grimal4 l'affirmation contenue dans la déclaration d'indépendance des États-Unis : Les gouvernements tiennent leur pouvoir du consentement des gouvernés -, ce qui était la négation de la colonisation de conquête. "il n'y a pas disait-il, de peuple incapable de se gouverner, lorsqu'il est sagement dirigé." Dans son message du 2 déc. 1913 à propos des Philippines, le président américain précise : "Nous devons avoir en vue leur indépendance ultérieure rapprocher autant que possible le moment où /a voie pourra être déblayée et les fondations assurées." Le cinquième des quatorze points wilsonniens de 1918 précise en substance qu'"un règlement librement débattu dans un même esprit large et Impartial de toutes les revendications coloniales, basée sur /a stricte observation du principe que dans un règlement des questions de souveraineté les intérêts des populations envisagées pèseront d'un poids égal aux équitables revendications du gouvernement dont le titre serait à définir" Attaché au principe du self-détermination, Wilson a mis de l'eau dans son vin pour tenir compte de la pression des puissances coloniales qui n'étaient pas prêtes d'abandonner leurs colonies. Par la suite, le président Roosevelt ne restera pas inactif.

Avant de faire entrer son pays dans la guerre mondiale, F.D. Roosevelt marque son anticolonialisme dans la suite logique de la doctrine inspirée par Wilson. De la conférence tenue avec le Premier ministre britannique, Wiston Churchill, le 14 août 1941 pour jeter les bases de la charte de l'Atlantique, Roosevelt faisait remarquer "qu'on ne pouvait pas lutter contre la servitude fasciste et en même temps ne pas se libérer sur toute /a surface du globe les peuples soumis à une politique coloniale rétrograde." La charte en dégage des principes élargis aux échanges libres entre tous les pays dans ses paragraphes 3 et 4 stipulant que les deux pays :
  • "Respectent le droit qu'à chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre ; ils désirent que soient rendus les droits souverains et le libre exercice du gouvernement à ceux qui en ont été privés par la force ;
  • " Ils s'efforcent... d'ouvrir également à tous les États, grands et petits, vainqueurs ou vaincus, l'accès aux matières du monde et aux transactions commerciales nécessaires à leur prospérité économique."
On s'aperçoit alors que la doctrine américaine couple le libre exercice du gouvernement par les colonisés et la liberté économique sans demander explicitement l'octroi immédiat de l'indépendance aux peuples coloniaux. La vision de la récompense effective et intégrale aux alliés africains est lointaine.

Au plan purement africain, après la déclaration de guerre par l'Angleterre et la France libre à l'Allemagne Nazie, l'Oubangui-chari était parmi les premiers territoires à rallier en août 1940 les combattants de De Gaulle. On y trouve également le Tchad, le Congo et le Cameroun. Le Gabon les rejoint en novembre de la même année. L'AEF était à l'avant-garde de ralliement et d'ailleurs, c'est à Brazzaville que de Gaulle crée le 26 oct. 1940, le Conseil de Défense de l'Empire.

En compensation du service rendu, le Comité François de la Libération Nationale ouvrira le 30 janvier 1944, la conférence de Brazzaville pour faire évoluer le statut des colonies. Il faut redire ici que la charte Atlantique signée le 14 août 1941 proclamait déjà le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Pour éviter que la France soit prise de court par l'évolution de la société internationale, la loi-cadre était adoptée par le parlement le 23 juin 1956. Elle octroie certaines sphères des pouvoirs au plan local avec une généralisation du suffrage universel et du collège unique dans les territoires d'Outre-mer en vue de donner un moyen d'expression complet à l'opinion publique. Dans le sillage de Raymond Marin Lemesle in Documentation française, on peut souligner entre autres, quatre points significatifs :
  • Des mesures de décentralisation et de déconcentration administrative (et non politique) devaient intervenir pour associer étroitement les populations d'Outremer à la gestion de leurs propres intérêts,
  • Les compétences des assemblées élues étaient élargies par l'attribution de pouvoirs délibérants ; elles pourraient voter des mesures exécutoires, sans intervention des pouvoirs de tutelle, au sujet des questions locales. Un conseil de gouvernement, embryon d'exécutif local, était institué dans chaque territoire, sans que ses attributions fussent précisées ;
  • En vue d'africaniser les cadres, des facilités d'accès à tous les échelons de la Fonction publique seraient données aux citoyens autochtones.
A partir de ces principes, le gouvernement était autorisé à réaliser par décret les réformes administratives, économiques et sociales dans les territoires d'Outre-mer, à condition de soumettre les premières à l'avis du parlement.

Vous comprenez aisément que la loi-cadre arrive trop tard pour préparer sérieusement les territoires soumis à la colonisation afin d'assurer efficacement leur marche vers l'indépendance. Cette marche devient irréversible grâce aux progressistes occidentaux, à la tendance cartiériste5 d'une partie de l'opinion française prônant le désengagement de la France d'Afrique en raison du coût élevé de sa gestion, de la mutation de la société internationale et surtout de l'action des nationalistes négro-africains.


II - L'INDEPENDANCE, L'EXPRESSION D'UNE CONQUETE NATIONALE

PERMANENTE
Elle passe d'abord par la reconnaissance en une identité, à un sentiment réel d'appartenance à une nation et ensuite à la manifestation souveraine de l'économie, des finances, d'une interactivité sous-régionale, régionale et mondiale. Enfin, l'acquis de l'indépendance s'inscrit dans une dynamique supralégale et de lobbies périjuridiques (association des droits de l'homme et autres formes d'expression) à la sauvegarde des droits individuels et collectifs de la population, dans une totale expression de la citoyenneté.


A) L'attachement à la nation centrafricaine
L'indépendance nécessite de la part du peuple à se reconnaître dans une identité politique et culturelle commune, d'avoir aussi la volonté d'appartenir à une communauté de vie et d'agir, au-delà des intérêts singuliers, pour les biens de la nation.

Cela s'exprime juridiquement par des référents ou symboles souverains que j'aime appeler : les agrégats de la souveraineté nationale. Limitons-nous aux termes plus simples de l'identité. Cela s'exprime sociologiquement par le sentiment de faire partie d'une communauté nationale battue sur un socle de pluralité culturelle et de pluri-ethnicité. L'unité nationale s'articule autour d'une langue (le Sango) et du civisme à toute épreuve.


1) L'identité nationale
L'accession du Centrafrique à l'indépendance a conféré au pays des éléments d'identification internationale : un drapeau, un hymne, une devise, des armoiries et une langue nationale.

Que dire des agrégats de la souveraineté nationale ? Dans leur transversalité, ils sont porteurs d'un sens de l'histoire et des richesses politico-culturelles d'une nation en formation continue à partir d'une pluralité basique, d'une vocation nationale de déconstruction et de construction en vue d'asseoir une société unifiée

Dans ses différentes composantes ethnologique et sociologique. Les symboles identitaires deviennent alors une voie de reconnaissance nationale et de repérage international d'un peuple sorti de l'anonymat colonial. A titre d'exemple, le Centrafricain ne se reconnaîtra non seulement parle contenu officiel de son passeport mais aussi par les armoiries que porte la couverture de celui-ci. L'écolier de Bossangoa se différenciera de celui de Moundou non seulement par la frontière qui les sépare ou à une moindre importance du rythme et du programme scolaire mais aussi et peut-être surtout par les couleurs de drapeau planté devant le bâtiment et l'hymne chanté pour le "saluer."

Les référents symboles apparaissent à la fois comme signes distinctifs d'identification dans la configuration pluriétatique de la société internationale. Comme également des éléments qui sous-tendent l'amour du national à son pays ! Ils s'incarnent la propension qui nous attire vers notre destinée commune de voir un pays à la dimension de nos attentes et imbu de prospérité, de richesse partagée. Ceux qui sont à l'étranger mesurent mieux cette approche.


2) Le sentiment d'appartenance à la nation centrafricaine
Des variantes conceptuelles données par le Petit Larousse illustré de 1993 par rapport au mot sentiment, je retiendrai celle-ci: "État affectif complexe et durable lié à certaines émotions." De là, je définirai le sentiment national comme étant l'amour prononcé et vérifiable qu'un citoyen porte durablement pour sa nation. Cet amour s'exprime par la manière d'être, d'aimer et sa préférence absolue pour le peuple et les choses nationales. Elle se vérifie par les attitudes et les actes civiques astreints de toute trahison, d'assassinat politique, du sabotage économique à l'occupation du pays par des forces étrangères, ou du non paiement d'impôt, de l'absence de la conscience professionnelle, etc.
Que constatons-nous malheureusement? La souveraineté nationale est sapée par l'interférence. Limitons-nous au plan géostratégique et culturel. En regard du premier point, la République Centrafricaine est devenue depuis 1989, le site de stationnement permanent d'une partie des forces françaises qui interviennent militairement pour maintenir les régimes autocratiques au pouvoir. Les dernières mutineries constituent les illustrations éloquentes. Concernant le deuxième point, on note l'engouement des Centrafricains pour les musiques congolaises, camerounaises ou antillaises au détriment d'une culture musicale locale. Les ministres successifs en charge de la culture n'ont jamais développé une politique cohérente pour valoriser les rythmes de terroir. A titre d'exemple, sous le régime du général Kolingba, le don des instruments a été fait aux groupes qui s'illustrent dans la musique congolaise. 

Des ensembles tels que Zokéla, vibrant au rythme quasi typiquement centrafricain ont été oubliés. A ce niveau, le Centrafricain souffre du mimétisme culturel.

En guise de perspectives, peut-on "globaliser" les diverses richesses pour en faire une culture nationale. La démarche la plus sage est d'encourager le développement des valeurs dans lesquelles l'identité centrafricaine s'exprimerait le mieux et pourrait s'exporter facilement dans l'espace universel. Il faut avoir la volonté et se donner les moyens.


B) La souveraineté nationale dans ses aspects économique et financier, supralégal et périjuridique
Pour qu'elle soit efficace, l'indépendance doit être marquée par une économie, des finances très fortes et des instruments juridiques établis pour valoriser et défendre les droits fondamentaux des citoyens.


1) L'approche économique et financière de la souveraineté
Le développement national intégral nécessite la mise en place d'une politique économique, financière et humaine cohérente intégrant les paramètres internes et internationaux.


A) Les aspects économiques
Encore jusqu'à une date toute récente, les pays d'Afrique francophone se sont fait imposer une conception du développement à partir du modèle occidental dominé par la loi du marché. La Banque mondiale et le FMI sont maîtres dans la dépendance africaine de la vision occidentale du libéralisme économique. Le manque de créativité et d'innovation de la part des Africains eux-mêmes accroissent cette dépendance. Dans cette épreuve d'intérêt et d'école, le Centrafrique fait piètre figure. Il n'est pas question d'aller chercher dans les manuels de macro-économie ou d'économétrie pour comprendre car les faits sont là. On constate que les dirigeants centrafricains successifs n'ont pas su maîtriser la destinée économique du pays. D'une part, ils se sont laissé imposer une vision extranationale du développement, et d'autre part, ils se sont contentés d'accaparer la richesse nationale pour servir leurs propres intérêts et ceux de leurs alliés étrangers. D'une manière subséquente, il est à retenir entre autres :
  • Dans le pays, les hommes politiques ne disposent d'aucun projet adéquat et solide pour sortir le Centrafrique de la crise économique,
  • Les Centrafricains ont peu d'attrait pour le secteur de productivité. Ils le laissent à la merci des expatriés qui irriguent financièrement leur pays respectif des profits tirés ;
  • La Société civile et surtout les élites nationales ne sont pas déterminées pour se constituer en lobbies en vue d'infléchir la politique de dépravation économique des gouvernants en vue de sauvegarder l'intérêt supérieur de la nation.
  • l'État ne peut pas tout faire. On note peu de conscience nationale pour développer le secteur privé.
En somme, le mal centrafricain s'articule autour de l'homme centrafricain et de la place de l'État dans le développement économique. Émergeons-nous dans la sphère ontologique et philosophique pour l'appréhender.

On sait qu'à travers la hiérarchie des valeurs supra-immanentes et immanentes, derrière l’Être transcendantal (Dieu) vient l'homme dans toute son humanité juste ou guerrière pour la défense de ses intérêts et ceux de sa communauté. A l'image de Dieu, il incarne la sacralité dans son existence réelle, temporelle et spatiale. Cette approche est marquée par le sceau du théisme métaphysique qui cadre bien avec les traditions africaines. Dans son article ta fin des lumières post-modeme ou post-séculier, John Milbanik en dégage les contours. Il précise en substance que le théisme métaphysique est d'abord du "Dieu transcendant, ensuite d'une humanité semi- transcendante qui tente de maintenir dans les profondeurs ce qui était auparavant suspendu dans les hauteurs: substance, identité, dessein et hiérarchie des valeurs." Dans le sillage de certains philosophes de la Renaissance, Baruch et Spinoza, font valoir plutôt le concept du naturalisme anti-transcendant récusant ainsi la transcendance dans l'immanence de la sécularité humaniste. C'est un pas vers la laïcisation des valeurs transcendantales hiérarchisées. Il faut avoir la tête sur les épaules que de l'avoir dans le nuage. Derrière cette contradiction philosophique, la véritable question est de savoir quelle est la place de l'homme par rapport à l'État. Est-ce d'abord l'individu libre et autonome dans le cadre de l'État contractuel qui prime, ou l'individu définit comme citoyen marqué par la valorisation de la Constitution sociale inscrite dans la dynamique régulatrice fondamentale de l'espace communautaire qui est premier. l'État ne sera qu'un cadre contractuel de sauvegarde. Dans ce débat d'école, ma position est simple et peut-être médiane. L'homme pris dans ses droits individuels et collectifs est sacré. l'État doit absolument les lui garantir sans aucune interférence sauf si la loi lui autorise expressément dans des cas précis et rendus publics. L'homme devient citoyen dès lors qu'au-delà de ses droits, il s'acquitte des devoirs dans le cadre de la cité et de l'intérêt généralement assumé par l'État.

En clair, le développement économique, condition sine qua non de l'efficacité de la souveraineté nationale implique l'interventionnisme de l'État dans les secteurs essentiels marqué par la carence des initiatives privées et l'implication sans commune mesure des filles et des fils du pays dans le domaine de la croissance économique.


B) L'aspect financier
Je ferai abstraction de la constitution des réserves financières, baromètre de la santé économique et de relance en cas de crise aiguë et, de la capacité nationale d'investissement pour me limiter au problème de la monnaie nationale ou sous-régionale. Les raisons sont simples. Le marasme économique constitue un handicap sérieux de la constitution des réserves. Le peu que dispose le trésor public est englouti par le service des dettes, le paiement des fonctionnaires ou placé dans les banques étrangères sous les noms ou prête-noms des dirigeants politiques nationaux. La politique de découragement entrepris par les barons des régimes successifs n'encourage pas les Centrafricains à investir dans leur propre pays.

La monnaie est l'un des éléments constitutifs essentiels de la souveraineté nationale. Ce qui fait dire aux anti-néocolonialistes que les États africains de la zone franc ne se sont jamais sortis de la domination française. Le cordon ombilical financier les maintient sous la dépendance de la banque de France et par ricochet de la France elle-même. Pour preuve, à une date récente, la dévaluation du F cfa s'est effectuée autoritairement par la France sans consultation préalable des partenaires économiques et financiers africains. Ceux-ci se sont contentés de subir. Pour preuve encore, les transactions financières privées sont torpillées par la France dans son seul intérêt. Maintenant, il faut avoir des relations pour envoyer de l'argent à ses proches en Centrafrique.

A la lecture de ses griefs, ne convient-il pas de réfléchir déjà à l'établissement d'une monnaie nationale ou, eu égard à la faiblesse des économies africaines, à des monnaies sous-régionales, garant d'une forte politique nationale ou africaine.
Personnellement, je milite pour une monnaie nationale pour les raisons suivantes :
  • Elle participe à l'expression effective de la souveraineté nationale ;
  • Elle contribue à bâtir une politique financière autonome pour sortir le pays du "rouge" économique ;
  • La santé économique des pays à monnaie nationale comme le Ghana se porte mieux que le Centrafrique ;
  • Elle permet aux économistes et monétaristes centrafricains de creuser davantage leur méninge.
Il faut toujours commencer à rêver. Ne dit-on pas que le rêve deviendra un jour réalité.
Contrairement à ce que pensent les auteurs du Besoin d’Afrique6, le franc cfa était en avance sur l'Union Européenne et faire penser en conséquence que l'euro veut rattraper ce retard, il est à admettre qu'en réalité, le franc cfa est une monnaie de dépendance par rapport au système français. Ainsi, la diligence française réduit à sa moindre proportion la pertinence de l'intégration régionale sur la base de la préférence nationale. A défaut d'une monnaie nationale, il importe de faire prévaloir sur une telle préférence une politique monétaire typiquement africaine afin de défendre les intérêts régionaux. Les Africains ont besoin d'avoir confiance dans leur mécanique financière propre.


2) Les instruments de régulation supralégale et périjuridique
Une démocratie moderne ne se conçoit pas sans l'existence d'un État de droit. Cela passe par l'acceptation d'une réelle justice en marge de toute main mise politique.

La démocratie admet le principe irréversible de la pluralité politique. Il n'est pas question d'avoir une kyrielle des partis pour vivre dans une société démocratique. Dans une telle société, l'État doit garantir la liberté d'expression, de presse et l'accès libre aux médias sans restriction abusive et irrégulière sur la base antinomique, le pouvoir laisse développer librement le contre-pouvoir dans une perspective de contradiction et d'enrichissement mutuel.

En outre, les trois pouvoirs classiques (l'exécutif, le législatif, le judiciaire) sont à circonscrire et à respecter dans leurs prérogatives respectives. Le primat traditionnel de l'exécutif dans le système politique autoritaire est à réduire dans un élan d'équilibre institutionnel et de défense des droits fondamentaux.

l'État de droit est perçu inéluctablement comme le seul moyen de défendre les droits individuels et collectifs des citoyens. Ces droits sont reconnus par des textes internationaux, régionaux et la Constitution nationale. En Centrafrique, la Cour constitutionnelle a pour mission de les sauvegarder. Les organes périjuridiques telle que la ligue des droits de l'homme, Justice et paix, etc. s'activent au-delà de leur qualité d'observatoire national de ces normes supralégales en des instruments véritables pour contraindre les autorités publiques à respecter les droits contenus dans la Constitution et les chartes internationales et régionales. Il est à admettre sans ambages qu'une démocratie sans construction d'un État de droit n'en est pas une.

En conclusion, nous pouvons dire que la souveraineté nationale implique la prise en compte de l'identification internationale, de l'indépendance économique inscrite dans une compétition mondiale et de l'effectivité des droits humains au profit des citoyens. Le Centrafrique a encore du chemin à parcourir. Aujourd'hui, la marche souveraine vers l'avant implique la défense des acquis démocratiques tels que le principe d'irréversibilité du pluralisme politique dans les perspectives d'une paix durable, et du développement d'un consensualisme autour des idées fortes de la cohésion nationale.

1 Ancien président de l'Association Nationale des Étudiants Centrafricains (87-88) Chargé de cours à l’Université des Antilles-Guyane (Cayenne), co-fondateur du Mensuel Sango Ti Bè Africa (Nouvelles du Centrafrique).

2 On peut en dégager deux périodes : l'une qui s'étend de 1793 jusqu'au déclenchement de la deuxième guerre mondiale, caractérisée par la vision dominatrice de la puissance colonisatrice française; l'autre commence à la fin de la deuxième guerre jusqu'à la promulgation de la Constitution de la cinquième République qui consacre la coexistence entre les Institutions locales "coloniaux" et celle de la république Française, et de leur complémentarité dans le cadre de la Communauté.

3 Malgré l'unité apparente autour de l'idée de la Communauté instituée par la Constitution, les leaders africains francophones étaient partagés entre la confédération et la Communauté proprement dite. Le Sénégalais Senghor se positionne en chef de file des fédéralistes et Houphouët celui des partisans de la Communauté.

4 La décolonisation de 1919 à nos jours Ed. Complexe, 1985.

5 Doctrine initiée par Cartier, qui préconise l'abandon des territoires d'outre-mer qui revenaient plus chers aux contribuables français. Le même journaliste a oublié de faire la balance entre l'apport de ces mêmes territoires en matières de richesses et leurs coûts de gestion. Au regard des relations bilatérales post-coloniales, le Secrétaire d'État aux Affaires étrangères, chargé de la coopération, M. Charbonnel faisait remarquer en 1966, que " dans l'hypothèse d'un arrêt de l'aide française, /a perte en capital subie par l'économie française serait supérieure aux investissements publics ainsi économisés." In Croissance des Jeunes Nations, No 55, mai 1966, p. 7.

6 Eric Fottorino, Christophe Guillermin, Eric Orsenna, Besoin d'Afrique, Librairie Arthème Fayard, 1992, 313 p, pp. 96-98.

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