Une population très diversifiée
Lors du recensement de 1990, sa population était de 115 000 habitants. En 1997, elle était estimée à 170 000 personnes et devait atteindre plus de 180 000 en l’an 2000. En 2005, cette population dépassait les 200 000 pour atteindre 206 000 en 2006. La composition ethnolinguistique de la Guyane française est très diversifiée et reflète bien les événements historiques qui se sont déroulés depuis le XVIe siècle. On y compte plus de 25 groupes ethniques différents parlant chacun sa langue. Outre les Amérindiens, on distingue la population d’origine africaine (descendants des anciens esclaves), les Européens (métropolitains ou anciens colons), les immigrants asiatiques (du début du XXe siècle et des années soixante-dix) et quelques autres ethnies d’immigration plus récente (Brésiliens, Libanais, Surinamiens, Guyanais, etc.). Pour ce qui est du nombre exact de chacune de ces populations, on dispose de données approximatives, et personne ne semble capable de chiffrer avec précision la population guyanaise en raison de l’arrivée massive des immigrants depuis une dizaine d’années, notamment les illégaux ou «sans-papiers». Chaque année, les autorités de la Guyane expulsent environ 15 000 personnes «irrégulières», soit presque un dixième de la population. Proportionnellement, c'est comme si la France expulsait annuellement de son territoire plus de cinq millions de personnes, le Canada, trois millions, et les États-Unis... 26 millions.
Voici ce que le groupe Joshua Project donnait comme population pour la Guyane française en 2005:
Ces résultats sont approximatifs et plus ou moins fiables, mais ils donnent une idée de la complexité d'une population relativement faible numériquement. Aucun groupe ethnolinguistique n'étant majoritaire, il faut effectuer des regroupements. Tous les locuteurs créolophones forment un ensemble de 117 812 personnes, soit 63 % de la population totale. Les créolophones sont suivis des francophones (27 100), soit 14,4 %. Puis il faut ajouter le portugais (6,9 %), l'hindoustani (4 %), le chinois hakka (3,9 %) et plusieurs autres petites langues, dont les langues amérindiennes (caribe, palikour, wayampi, arawak, emerillon, wayana, etc.).
En 2006, les principales villes de la Guyane étaient les suivantes: Cayenne (58 004 hab.) Saint-Laurent-du-Maroni (33 707), Matoury (24 583) et Kourou (23 813).
La population d’origine africaine
La population d’origine africaine ou afro-européenne (composée de Noirs et surtout de Mulâtres issus d’un métissage entre Africains et Français) est de loin la plus importante, car elle forme plus de 60 % de la population. Toutefois, cette population est elle-même très disparate.
Les Guyanais créolophones
Le sous-groupe le plus important est constitué des Guyanais créolophones mulâtres et parlant le créole guyanais. Autrefois majoritaires au pays, ils ne forment plus maintenant que 38 % de la population, soit environ 71 000 personnes. Ils parlent le créole guyanais (à base de français) et la plupart habitent généralement sur le littoral (villes de Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni et Mana) où (voir la carte 1) ils contrôlent encore l’essentiel du pouvoir politique local; seulement une minorité vit dans la forêt équatoriale (villages de Maripasoula, Saül et Regina). Les Guyanais noirs sont beaucoup moins nombreux (env. 2600); ils provenaient à l'origine de la Guyana et parlent un créole à base d'anglais. Les Guyanais d'origine appellent leur pays "lagwiyan" (en créole), ce qui équivaut en français à «la Guyane».
À ces Guyanais d’origine s’ajoutent des immigrants créoles de «nationalité française»: surtout des Martiniquais, des Guadeloupéens et un certain nombre de Réunionnais (en provenance de l’océan Indien). Tous ces immigrants parlent respectivement, comme langue maternelle, le créole martiniquais, le créole guadeloupéen ou le créole réunionnais; la plupart connaissent le français en tant que langue seconde. Ces créolophones de nationalité française forment un groupe d’environ 12 000 personnes. Soulignons que le créole guyanais est linguistiquement proche des créoles des Antilles françaises et que l’intercompréhension ne pose pas beaucoup de problèmes. Un Martiniquais, un Haïtien, un Saint-Lucien, etc., comprendra assez facilement le créole guyanais.
Parmi la population créolophone de nationalité «non française», il faut mentionner la plus importante de toutes les communautés immigrantes: les Haïtiens. En principe, ils sont 15 000 (8 %), mais ils seraient en réalité le double, soit au moins 30 000 (peut-être même 60 000, croient certains) et habitent dans des bidonvilles — dignes des pays les moins avancés — dans la région de Cayenne à la recherche de travail; ils parlent tous le créole haïtien. Il faut ajouter un certain nombre d’autres créolophones originaires de Sainte-Lucie, du Surinam, du Brésil, de Guyana, etc., et parlant, selon le cas, le créole saint-lucien (à base française), le créole surinamien (à base d'anglais) ou le sranan tongo, le créole guyanais (à base d'anglais), le créole aukan (à base d'anglais), le créole saramaccan (à base de portugais), le créole brésilien (à base de portugais) ou encore un mélange de portugais et de créole, etc. Beaucoup de ces nouveaux immigrants ignorent le français (même comme langue seconde).
Les Noirs marrons
La Guyane compte aussi quelques communautés de Noirs marrons (env. 10 000 personnes): il s’agit principalement des Boni, des Djuka et des Saramaca, auxquels s’ajoutent les Bosh, les Paramaka et les Aluku. Les Noirs marrons sont les descendants d’anciens esclaves surinamiens en rébellion, qui avaient décidé de retourner vivre, comme leurs ancêtres, dans la forêt. C’est en raison de leur mode de vie en forêt qu’on les appelle les «bush negroes» ou «nègres des bois», d’où le terme de Bushi-Nengé (ou Bushinengués) pour les identifier. Les Bushinengués vivent surtout sur les rives du fleuve Maroni (ou l’un de ses affluents) qui délimite la frontière entre le Surinam et la Guyane française (voir la carte 1). Ils constituent, après les Amérindiens et les colons blancs, les premiers habitants originaires du pays.
En Guyane française, les Noirs marrons sont aujourd’hui considérés (avec les Amérindiens) comme les «hommes du fleuve», car ils servent de piroguiers professionnels pour les voyageurs. Les Boni ou Aluku (env. 5000 personnes) vivent sur la rive droite du Maroni, surtout à Apatou, Papaïchton et Maripasoula. Les Ndjuka (entre 6000 et 10 000 personnes) résident également sur les rives du Maroni, particulièrement à Saint-Laurent-du-Maroni, Apatou et Grand-Santi mais aussi à Kourou et dans la banlieue de Cayenne. Quant aux Saramacca, ils seraient peut-être 8000 (certains disent plutôt 500 seulement). Ils résident à Saint-Laurent-du-Maroni et à Kourou, mais d’autres habitent au sud, sur les rives de la rivière Tampoc (un affluent du Maroni) ou à l’est, sur les rives du fleuve Oyapock, lequel délimite la frontière de la Guyane française et du Brésil.
Tous les Noirs marrons parlent un créole à base d’anglais et du néerlandais du Surinam, que ce soit l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca. Le terme de taki-taki, appelé aussi «bushi-nengé tongo» ou langue des «hommes des bois», est souvent utilisé pour désigner les langues bushinenguées. Le terme de taki-taki est cependant à éviter, car il sert à désigner indistinctement — et de façon dépréciative — non seulement l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca, mais aussi le créole surinamien et le sranan-tongo du Surinam. Les langues dites bushinenguées n’ont pas fait pour l'instant l'objet d'études linguistiques approfondies. Les Noirs marrons ne parlent pas toujours le français, mais les piroguiers professionnels le connaissent suffisamment pour communiquer avec les Blancs.
Les Guyanais qui parlent le créole martiniquais, guadeloupéen, haïtien, surinamien ou réunionnais, sinon le taki-taki, sont tous considérés comme des «étrangers» par les créolophones guyanais. Chacune des communautés parle «son créole» dans ses communications «internes». Lorsque deux ou plusieurs interlocuteurs utilisant un créole différent se parlent entre eux, ils ont recours généralement au créole guyanais, voire au taki-taki, parfois au français qui est pourtant la langue de l’école, de l’Administration, du commerce, etc. Les divers créoles de la Guyane demeurent les langues les plus utilisées dans les communications orales et à la radio locale, ce qui témoigne d'une certaine «guyanisation» de la langue véhiculaire parlée. Néanmoins, le français est aussi utilisé lorsque tous les locuteurs le connaissent, sinon c'est le créole guyanais qui sera utilisé ou le taki-taki. De plus, comme beaucoup de Guyanais sont polyglottes, il arrive que des interlocuteurs utilisent plusieurs langues au cours d'une même conversation et passent même d'une langue à l'autre.
Les Européens
Les Européens comptent pour 14 % de la population guyanaise. On distingue deux sortes d’Européens: il s’agit, d’une part, des «métropolitains» (appelés aussi Métros : 7,4 %), qui ne parlent généralement que le français, d’autre part, des «permanents» (Guyanais blancs: 6,9 %), c’est-à-dire les descendants des anciens colons, qui parlent souvent le français (ou le «français des îles») et le créole guyanais (ou, du moins, ils le comprennent bien).
Les Métros travaillent habituellement au Centre spatial guyanais de Kourou ou dans les centres de recherche scientifiques pour le temps d’une mutation ou la durée d’un contrat relativement court (trois ans ou moins). Quant aux Blancs guyanais «permanents», ils occupent généralement des postes de hauts fonctionnaires, font carrière dans l’armée ou dans la police, ou bien possèdent des commerces importants. Dans les villes de Cayenne et de Kourou, les «quartiers blancs» sont privilégiés dans la mesure où on y trouve de plus de confortables résidences, des pelouses bien entretenues, des voitures européennes, des commerces de standing, des courts de tennis et parfois de petits yachts. En Guyane, les Blancs ne parlent généralement que le français, ce qui peut donner l'impression aux Guyanais polyglottes que les Blancs sont peu doués pour les langues.
Les Amérindiens
La Guyane compte plusieurs communautés amérindiennes (environ 5 % de la population, soit entre 6000 et 9000 personnes) dont les membres sont considérés comme les descendants des plus anciens habitants (probablement quelques milliers d’années) du pays.
Les Palikour (entre 600 et 1000 locuteurs) habitent dans le sud de la Guyane à Macouria ainsi que dans l’embouchure du fleuve Oyapok, près du Brésil; les Arawak (150-200 loc.) et les Kalihna ou Galibi (entre 2000 et 4000 loc.) vivent près des zones côtières dans l’ouest (Awala-Yalimapo, Paddock-et-Fatima, Saint-Laurent-du-Maroni) alors que les Wayana (200-900 loc.) sont localisés dans le sud (Antécume-Pata, Elaé, Twenké); pour leur part, les Émerillon (200-400 loc.) et les Wayampi (400-600 loc.) habitent le Sud guyanais, c’est-à-dire sous la «ligne» ouest-est entre Maripasoula et Camopi: (voir la carte 1). Chacun de ces peuples parle sa langue ancestrale (palikour, arawak, kalihna ou galibi, wayana, etc.) avec les membres de sa communauté. On compte trois familles linguistiques amérindiennes en Guyane française: la famille arawak (les Arawak et les Palikour), la famille caribe (les Kalihna et les Wayana) et la famille tupi-guarani (les Emerillon et les Wayampi).
Avant la colonisation européenne, les langues amérindiennes de la Guyane se portaient bien. Aujourd'hui, à cause de l'émigration de beaucoup d'Amérindiens à l'extérieur de leur territoire ancestral, ces langues sont davantage exposées à l'extinction (en raison du nombre de plus en plus réduit de leurs locuteurs). Toutefois, la culture amérindienne est demeurée très vivante. La plupart des Amérindiens, particulièrement ceux habitant la forêt équatoriale dense du Sud, ont su conserver leurs traditions et leurs langues parce qu'ils ont été peu touchés par la civilisation blanche, les difficultés de pénétration du territoire étant considérables.
Parmi toutes ces langues, le kalihna (ou galibi) de la famille caraïbe semble avoir plus de chance de survivre, car le nombre de ses locuteurs atteindrait les 10 000 avec les pays voisins: Surinam (2500), Guyana (475), Brésil (100), Venezuela (5000). Les Amérindiens savent généralement un peu de français.
Depuis quelques années, les peuples amérindiens de la Guyane cherchent à obtenir des droits territoriaux de la part du gouvernement français ainsi qu’à faire reconnaître leur identité comme «peuples distincts». Pour le moment, la France ne reconnaît pas de droits territoriaux aux Amérindiens et les territoires visés ont été classés comme des domaines privés appartenant à l’État (ou propriétés dites domiennes [DOM]). Pour les autorités françaises, il n’existe donc pas, juridiquement parlant, de «peuples distincts» en Guyane, mais plutôt des «populations primitives» (1952) ou des «populations tribales» (1970), sinon des «Amérindiens de la Guyane française» (1984) et des «Communautés tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt» (1987), tout cela pour éviter de dire «peuples autochtones», selon l’expression utilisée dans le droit international. Néanmoins, le décret foncier du 14 avril 1987 émis par le gouvernement métropolitain accorde une certaine protection aux Amérindiens en permettant au préfet de Cayenne de prévoir «la concession de zones de parcours aux communautés d’habitants tirant traditionnellement leur subsistance de la forêt».
Toutefois, ce timide engagement de la Métropole en faveur des Amérindiens irrite quelque peu les Guyanais d’origine qui craignent les revendications spécifiques de la part de chacune des nombreuses autres minorités du territoire. Dans leur ensemble, les Guyanes (française, hollandaise et anglaise) sont assez retardataires en ce qui concerne les droits des Amérindiens vivant sur leur sol: en effet, ces derniers sont démunis de tout pouvoir, et ce, même s’ils occupent l'essentiel du territoire. À défaut de structures officielles (même consultatives) exprimant les intérêts autochtones, il existe des associations amérindiennes vouées à la revendication de leurs droits, notamment l’Union des peuples amérindiens de la Guyane (UPAG), l’Association des Amérindiens de Guyane française (AAGF) et la Fédération des organisations amérindiennes de Guyane (FOAG).
Les Asiatiques et les autres
Pour leur part, les communautés asiatiques (environ 8 % de la population) sont arrivées à partir de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ce sont des Chinois (env. 7000 personnes) originaires de Taiwan, de Singapour, de Hong-Kong, du Vietnam et de la Chine continentale; cette société très fermée sur elle-même parle surtout le chinois hakka (en moins important: le cantonais, le min et le yan) et règne sur les petits commerces de détail; le chinois mandarin, en tant que langue de prestige, est enseigné par l’Association culturelle chinoise. À ces immigrants asiatiques s’ajoute une petite communauté de quelque 1000-2000 Libanais (ou Syro-Libanais) arrivés en même temps que les Chinois; les Libanais semblent aujourd’hui compenser leur relative faiblesse numérique par leur poids économique important.
Après 1977, se sont présentés des Hmong (env. 3000) réfugiés du Laos et vivant repliés sur eux-mêmes, essentiellement à Cacao (sur le littoral); ces ex-Laotiens sont devenus dans leur nouveau pays de grands fournisseurs de légumes frais. Pour ce qui est des Hmong, il existe deux catégories de Hmong: les Hmong blancs et les Hmong verts. Il y a même des Hmong bariolés. Mais les Hmong verts ne prononcent pas le H- initial et ils revendiquent d'écrire Mong, sans le H. Le parler hmong blanc (ou hmong daw) et le parler hmong vert (ou hmong njoua) sont grammaticalement similaires, mais ils peuvent être un peu différents aux points de vue lexical et phonétique. Le mot njoua est à l'origine une orthographe phonétique créée pour indiquer aux non-Hmong comment se prononce «vert» en hmong (et orthographié nruab en alphabet hmong), que certains sociologues ou anthropologues ont repris comme étant une appellation attestée des Hmong verts en en ignorant totalement l'origine de la création du mot. Quant au mot daw, il s'agit, d'après M. Chô Ly de l'Université de Strasbourg II, d'une orthographe peu réussie du mot «blanc» en hmong (qui s'écrit en fait dawb). Or, daw(b) n'a pas la même fonction d'indication phonétique que njoua, car il est prononcé [daeu].
En Guyane française, le hmong blanc domine largement le hmong vert, avec comme résultat que la plupart des Hmong verts ont adopté le hmong blanc comme langue propre, car il est parlé par la grande majorité des Hmong guyanais. Même les Hmong bariolés parlent le hmong blanc. En dépit de l'omniprésence du français et du créole, les Hmong ont su préserver leur langue ancestrale. C'est que les Hmong sont regroupés dans trois villages exclusivement hmong: Cacao, Javouhey et Rococoua. Ils ne sont en contact avec les autres Guyanais qu'à l'école et au marché. Au Vietnam, on distingue des Hmong blanc, des Hmong verts, des Hmong noirs, des Hmong rouges et des Hmong bariolés. Le tableau qui suit peut aider à identifier les différents groupes.
Chacune des communautés «asiatiques» de la Guyane utilise sa langue maternelle pour communiquer avec ses membres, mais la langue véhiculaire de la plupart de ces communautés reste le chinois hakka et le créole guyanais (intercommunautaire), parfois le français.
Plusieurs immigrants proviennent des pays voisins. En effet, la Guyane compte une communauté importante de Brésiliens (env. 10 000 personnes) parlant principalement le portugais (ou un mélange de créole et de portugais) et une petite communauté de Surinamiens (12 000) parlant soit le créole surinamien, soit le javanais, soit une langue bushinenguée.
Des tensions entre autochtones et immigrants
En raison du caractère composite d’une si petite population — presque unique au monde — et des inévitables inégalités sociales, la Guyane française connaît certaines tensions, particulièrement entre les créolophones guyanais, qui se sentent menacés, et les créolophones immigrants de plus en plus nombreux, mais aussi entre les premiers et les Blancs, les Asiatiques, voire les Amérindiens.
Seuls les créolophones guyanais et les Amérindiens se considèrent comme «autochtones» dans ce pays. Or, l’ensemble des «étrangers» représente une partie considérable de la population guyanaise: plus de 45 % (et probablement davantage avec la présence des clandestins). En 1995, la préfecture de Cayenne estimait la population totale de la Guyane à 150 000 personnes (et 170 000 en 1997), dont 70 000 «étrangers», parmi lesquels il y aurait 30 000 «sans-papiers» ou immigrants clandestins. Or, ceux qui sont perçus comme «étrangers» par les Guyanais peuvent aussi bien être de «nationalité française», tels que les Métropolitains, les Martiniquais et les Guadeloupéens, que des immigrés provenant d’autres pays tels que Haïti, la Guyana, le Surinam, le Brésil et les pays asiatiques.
Dans l’état actuel des choses, les villes de Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou et quelques autres sont pourvues de quartiers à très forte densité immigrée. Quant aux «sans-papiers», ils travaillent ouvertement «au noir» dans les secteurs de la construction, de l’abattage des arbres et de l’exploitation de l’or (ou orpaillage, en particulier de gisements d'origine alluviale), sans compter les milliers d’entre eux qui, grâce à la sous-traitance, ont contribué à l'édification de la base spatiale de Kourou. Les créoles immigrés et les clandestins vivent le plus souvent dans des quartiers sans équipements sanitaires et constituant d’infects bidonvilles. En Guyane française, les différents groupes ethniques forment tous des minorités vivant dans des mondes parallèles, mais si la plupart des communautés créolophones communiquent aisément entre elles, d'autres groupes ne s'interpénètrent que difficilement (Amérindiens, Asiatiques, etc.). Ajoutons aussi qu'en Guyane, il existe trois villes importantes: Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni et Kourou. Or, chacune d'elles possède son histoire linguistique et ethnique. Par comparaison, on peut dire que Cayenne est une ville plutôt sud-américaine; Kourou, une ville plutôt européenne; Saint-Laurent, une ville plutôt... guyanaise.
On pourrait résumer ironiquement la situation en disant que les Blancs sont d’abord les représentants de l’ordre (préfet, hauts fonctionnaires, gendarmes, médecins, anthropologues, etc.), puis les grands patrons des entreprises, les experts techniciens et les scientifiques; pour leur part, les créolophones d’origine guyanaise (peu tentés par les emplois industriels) contrôlent les postes administratifs et les services locaux; les Amérindiens restent toujours de formidables chasseurs et piroguiers; mais ce sont les Chinois qui règnent sur les commerces de détails, les Hmong qui font pousser les légumes, les Surinamiens et les Brésiliens qui triment dur sur les chantiers, les Haïtiens qui débroussaillent les jardins et ramassent les ordures, etc., sans parler des femmes haïtiennes et brésiliennes qui font le ménage (au noir). On pourrait ajouter que les Américains exploitent la crevette, les Vénézuéliens, le vivaneau, alors que les Canadiens (GUYANOR, CAMBIOR, ASARCO) exploitent les grosses compagnies minières. Avec un chômage réel qui touche 40 % de la population, on peut comprendre pourquoi les immigrants sont devenus des «indésirables», et ce, d’autant plus qu’ils sont à l'origine d'environ 60 % des naissances. Les Guyanais croient aussi que les immigrants surinamiens brésiliens apportent de la violence avec eux.
Se sentant menacés, les Guyanais d’origine accusent la métropole de pratiquer une politique trop souple à l’égard des immigrants, notamment en matière de main-d’œuvre où le travail au noir est une pratique courante et ouvertement tolérée, d’ignorer les spécificités guyanaises (en matière scolaire) et de ne pas assez investir dans l’économie de la région. Pour le moment du moins, l’État semble pratiquer la politique de l’autruche. Pour sauver les apparences, policiers et gendarmes défoncent presque quotidiennement les portes de domicile des illégaux pour procéder à des contrôles d'identité, alors que le travail au noir constitue une pratique imposée aux immigrés depuis fort longtemps, sans que les autorités compétentes envisagent même un effort de règlement. En effet, les administrations et les patrons gèrent d'un accord tacite ce système très rentable dans une économie fragile.
Pendant ce temps, l'immigration, légale ou clandestine, se poursuit, et les tensions entre créoles guyanais et immigrés augmentent, ce qui ne présage rien de bon. L’État a beau renforcer la présence des forces de sécurité et multiplier les opérations de reconduite aux frontières, les prisons sont pleines à 300 % et il semble impossible, étant donné le nombre, de sanctionner tous les «sans-papiers». L'intégration culturelle, économique et sociale constitue un problème fondamental en Guyane puisque cette intégration entre les différents groupes sociaux cloisonnés reste encore à faire. C’est pourquoi il convient davantage de parler de société pluriculturelle et pluriethnique que d’une «société guyanaise». Alors que les identités créoles, amérindiennes, bushinenguées, etc., s’affirment de façon assez tranchée, la guyanité semble une notion encore incertaine et floue dans ce pays.
Lors du recensement de 1990, sa population était de 115 000 habitants. En 1997, elle était estimée à 170 000 personnes et devait atteindre plus de 180 000 en l’an 2000. En 2005, cette population dépassait les 200 000 pour atteindre 206 000 en 2006. La composition ethnolinguistique de la Guyane française est très diversifiée et reflète bien les événements historiques qui se sont déroulés depuis le XVIe siècle. On y compte plus de 25 groupes ethniques différents parlant chacun sa langue. Outre les Amérindiens, on distingue la population d’origine africaine (descendants des anciens esclaves), les Européens (métropolitains ou anciens colons), les immigrants asiatiques (du début du XXe siècle et des années soixante-dix) et quelques autres ethnies d’immigration plus récente (Brésiliens, Libanais, Surinamiens, Guyanais, etc.). Pour ce qui est du nombre exact de chacune de ces populations, on dispose de données approximatives, et personne ne semble capable de chiffrer avec précision la population guyanaise en raison de l’arrivée massive des immigrants depuis une dizaine d’années, notamment les illégaux ou «sans-papiers». Chaque année, les autorités de la Guyane expulsent environ 15 000 personnes «irrégulières», soit presque un dixième de la population. Proportionnellement, c'est comme si la France expulsait annuellement de son territoire plus de cinq millions de personnes, le Canada, trois millions, et les États-Unis... 26 millions.
Voici ce que le groupe Joshua Project donnait comme population pour la Guyane française en 2005:
Groupe | Population | Pourcentage | Langue maternelle | Affiliation linguistique |
Guyanais mulâtres | 71 000 |
37,9 %
| créole guyanais (français) | créole |
Haïtiens | 15 000 | 8,0 % | créole haïtien (français) | créole |
Français | 14 000 | 7,4 % | français | langue romane |
Guyanais blancs | 13 000 | 6,9 % | français | langue romane |
Antillais guadeloupéens | 12 000 | 6,4 % | créole guadeloupéen | créole |
Surinamiens créoles | 12 000 | 6,4 % | créole sranan-tongo | créole |
Caribéens de l'Inde | 7 500 | 4,0 % | hindoustani caribéen | langue indo-iranienne |
Chinois hakka | 7 400 | 3,9 % | chinois hakka | langue sino-tibétaine |
Bushinengués | 7 400 | 3,9 % | créole aukan | créole |
Brésiliens blancs | 5 700 | 3,0 % | portugais | langue romane |
Brésiliens Branco | 3 600 | 1,9 % | portugais | langue romane |
Saramacca | 3 200 | 1,7 % | créole saramacca | créole |
Hmong | 2 900 | 1,5 % | hmong | langue hmong-mien |
Guyanais noirs | 2 600 | 1,3 % | créole guyanais (anglais) | créole |
Caribes (Amérindiens) | 2 100 | 1,1 % | caraïbe | langue caraïbe |
Arabes libanais | 1 900 | 1,0 % | arabe leventin du Nord | langue chamito-sémitique |
Caribéens javanais | 1 900 | 1,0 % | javanais caribéen | langue malayo-polynésienne occidentale |
Saint-Luciens | 1 100 | 0,5 % | créole saint-lucien (français) | créole |
Arabes syriens | 800 | 0,4 % | arabe leventin du Nord | langue chamito-sémitique |
Palikours (Amérindiens) | 600 | 0,3 % | palikour | langue arawak |
Wayampi (Amérindiens) | 600 | 0,3 % | wayampi | langue tupi-guarani |
Péruviens | 500 | 0,2 % | espagnol | langue romane |
Surinamiens hindiphones | 500 | 0,2 % | créole sranan-tongo | créole |
Arawaks (Amérindiens) | 200 | 0,2 % | arawak | langue arawak |
Emerillons (Amérindiens) | 200 | 0,2 % | émerillon | langue tupi-guarani |
Wayana (Amérindiens) | 200 | 0,2 % | wayana | langue caraïbe |
Juifs français | 100 | 0,0 % | français | langue romane |
Total |
187 000
|
100 %
|
Ces résultats sont approximatifs et plus ou moins fiables, mais ils donnent une idée de la complexité d'une population relativement faible numériquement. Aucun groupe ethnolinguistique n'étant majoritaire, il faut effectuer des regroupements. Tous les locuteurs créolophones forment un ensemble de 117 812 personnes, soit 63 % de la population totale. Les créolophones sont suivis des francophones (27 100), soit 14,4 %. Puis il faut ajouter le portugais (6,9 %), l'hindoustani (4 %), le chinois hakka (3,9 %) et plusieurs autres petites langues, dont les langues amérindiennes (caribe, palikour, wayampi, arawak, emerillon, wayana, etc.).
En 2006, les principales villes de la Guyane étaient les suivantes: Cayenne (58 004 hab.) Saint-Laurent-du-Maroni (33 707), Matoury (24 583) et Kourou (23 813).
La population d’origine africaine
La population d’origine africaine ou afro-européenne (composée de Noirs et surtout de Mulâtres issus d’un métissage entre Africains et Français) est de loin la plus importante, car elle forme plus de 60 % de la population. Toutefois, cette population est elle-même très disparate.
Les Guyanais créolophones
Le sous-groupe le plus important est constitué des Guyanais créolophones mulâtres et parlant le créole guyanais. Autrefois majoritaires au pays, ils ne forment plus maintenant que 38 % de la population, soit environ 71 000 personnes. Ils parlent le créole guyanais (à base de français) et la plupart habitent généralement sur le littoral (villes de Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni et Mana) où (voir la carte 1) ils contrôlent encore l’essentiel du pouvoir politique local; seulement une minorité vit dans la forêt équatoriale (villages de Maripasoula, Saül et Regina). Les Guyanais noirs sont beaucoup moins nombreux (env. 2600); ils provenaient à l'origine de la Guyana et parlent un créole à base d'anglais. Les Guyanais d'origine appellent leur pays "lagwiyan" (en créole), ce qui équivaut en français à «la Guyane».
À ces Guyanais d’origine s’ajoutent des immigrants créoles de «nationalité française»: surtout des Martiniquais, des Guadeloupéens et un certain nombre de Réunionnais (en provenance de l’océan Indien). Tous ces immigrants parlent respectivement, comme langue maternelle, le créole martiniquais, le créole guadeloupéen ou le créole réunionnais; la plupart connaissent le français en tant que langue seconde. Ces créolophones de nationalité française forment un groupe d’environ 12 000 personnes. Soulignons que le créole guyanais est linguistiquement proche des créoles des Antilles françaises et que l’intercompréhension ne pose pas beaucoup de problèmes. Un Martiniquais, un Haïtien, un Saint-Lucien, etc., comprendra assez facilement le créole guyanais.
Parmi la population créolophone de nationalité «non française», il faut mentionner la plus importante de toutes les communautés immigrantes: les Haïtiens. En principe, ils sont 15 000 (8 %), mais ils seraient en réalité le double, soit au moins 30 000 (peut-être même 60 000, croient certains) et habitent dans des bidonvilles — dignes des pays les moins avancés — dans la région de Cayenne à la recherche de travail; ils parlent tous le créole haïtien. Il faut ajouter un certain nombre d’autres créolophones originaires de Sainte-Lucie, du Surinam, du Brésil, de Guyana, etc., et parlant, selon le cas, le créole saint-lucien (à base française), le créole surinamien (à base d'anglais) ou le sranan tongo, le créole guyanais (à base d'anglais), le créole aukan (à base d'anglais), le créole saramaccan (à base de portugais), le créole brésilien (à base de portugais) ou encore un mélange de portugais et de créole, etc. Beaucoup de ces nouveaux immigrants ignorent le français (même comme langue seconde).
Les Noirs marrons
La Guyane compte aussi quelques communautés de Noirs marrons (env. 10 000 personnes): il s’agit principalement des Boni, des Djuka et des Saramaca, auxquels s’ajoutent les Bosh, les Paramaka et les Aluku. Les Noirs marrons sont les descendants d’anciens esclaves surinamiens en rébellion, qui avaient décidé de retourner vivre, comme leurs ancêtres, dans la forêt. C’est en raison de leur mode de vie en forêt qu’on les appelle les «bush negroes» ou «nègres des bois», d’où le terme de Bushi-Nengé (ou Bushinengués) pour les identifier. Les Bushinengués vivent surtout sur les rives du fleuve Maroni (ou l’un de ses affluents) qui délimite la frontière entre le Surinam et la Guyane française (voir la carte 1). Ils constituent, après les Amérindiens et les colons blancs, les premiers habitants originaires du pays.
En Guyane française, les Noirs marrons sont aujourd’hui considérés (avec les Amérindiens) comme les «hommes du fleuve», car ils servent de piroguiers professionnels pour les voyageurs. Les Boni ou Aluku (env. 5000 personnes) vivent sur la rive droite du Maroni, surtout à Apatou, Papaïchton et Maripasoula. Les Ndjuka (entre 6000 et 10 000 personnes) résident également sur les rives du Maroni, particulièrement à Saint-Laurent-du-Maroni, Apatou et Grand-Santi mais aussi à Kourou et dans la banlieue de Cayenne. Quant aux Saramacca, ils seraient peut-être 8000 (certains disent plutôt 500 seulement). Ils résident à Saint-Laurent-du-Maroni et à Kourou, mais d’autres habitent au sud, sur les rives de la rivière Tampoc (un affluent du Maroni) ou à l’est, sur les rives du fleuve Oyapock, lequel délimite la frontière de la Guyane française et du Brésil.
Tous les Noirs marrons parlent un créole à base d’anglais et du néerlandais du Surinam, que ce soit l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca. Le terme de taki-taki, appelé aussi «bushi-nengé tongo» ou langue des «hommes des bois», est souvent utilisé pour désigner les langues bushinenguées. Le terme de taki-taki est cependant à éviter, car il sert à désigner indistinctement — et de façon dépréciative — non seulement l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca, mais aussi le créole surinamien et le sranan-tongo du Surinam. Les langues dites bushinenguées n’ont pas fait pour l'instant l'objet d'études linguistiques approfondies. Les Noirs marrons ne parlent pas toujours le français, mais les piroguiers professionnels le connaissent suffisamment pour communiquer avec les Blancs.
Les Guyanais qui parlent le créole martiniquais, guadeloupéen, haïtien, surinamien ou réunionnais, sinon le taki-taki, sont tous considérés comme des «étrangers» par les créolophones guyanais. Chacune des communautés parle «son créole» dans ses communications «internes». Lorsque deux ou plusieurs interlocuteurs utilisant un créole différent se parlent entre eux, ils ont recours généralement au créole guyanais, voire au taki-taki, parfois au français qui est pourtant la langue de l’école, de l’Administration, du commerce, etc. Les divers créoles de la Guyane demeurent les langues les plus utilisées dans les communications orales et à la radio locale, ce qui témoigne d'une certaine «guyanisation» de la langue véhiculaire parlée. Néanmoins, le français est aussi utilisé lorsque tous les locuteurs le connaissent, sinon c'est le créole guyanais qui sera utilisé ou le taki-taki. De plus, comme beaucoup de Guyanais sont polyglottes, il arrive que des interlocuteurs utilisent plusieurs langues au cours d'une même conversation et passent même d'une langue à l'autre.
Les Européens
Les Européens comptent pour 14 % de la population guyanaise. On distingue deux sortes d’Européens: il s’agit, d’une part, des «métropolitains» (appelés aussi Métros : 7,4 %), qui ne parlent généralement que le français, d’autre part, des «permanents» (Guyanais blancs: 6,9 %), c’est-à-dire les descendants des anciens colons, qui parlent souvent le français (ou le «français des îles») et le créole guyanais (ou, du moins, ils le comprennent bien).
Les Métros travaillent habituellement au Centre spatial guyanais de Kourou ou dans les centres de recherche scientifiques pour le temps d’une mutation ou la durée d’un contrat relativement court (trois ans ou moins). Quant aux Blancs guyanais «permanents», ils occupent généralement des postes de hauts fonctionnaires, font carrière dans l’armée ou dans la police, ou bien possèdent des commerces importants. Dans les villes de Cayenne et de Kourou, les «quartiers blancs» sont privilégiés dans la mesure où on y trouve de plus de confortables résidences, des pelouses bien entretenues, des voitures européennes, des commerces de standing, des courts de tennis et parfois de petits yachts. En Guyane, les Blancs ne parlent généralement que le français, ce qui peut donner l'impression aux Guyanais polyglottes que les Blancs sont peu doués pour les langues.
Les Amérindiens
La Guyane compte plusieurs communautés amérindiennes (environ 5 % de la population, soit entre 6000 et 9000 personnes) dont les membres sont considérés comme les descendants des plus anciens habitants (probablement quelques milliers d’années) du pays.
Les Palikour (entre 600 et 1000 locuteurs) habitent dans le sud de la Guyane à Macouria ainsi que dans l’embouchure du fleuve Oyapok, près du Brésil; les Arawak (150-200 loc.) et les Kalihna ou Galibi (entre 2000 et 4000 loc.) vivent près des zones côtières dans l’ouest (Awala-Yalimapo, Paddock-et-Fatima, Saint-Laurent-du-Maroni) alors que les Wayana (200-900 loc.) sont localisés dans le sud (Antécume-Pata, Elaé, Twenké); pour leur part, les Émerillon (200-400 loc.) et les Wayampi (400-600 loc.) habitent le Sud guyanais, c’est-à-dire sous la «ligne» ouest-est entre Maripasoula et Camopi: (voir la carte 1). Chacun de ces peuples parle sa langue ancestrale (palikour, arawak, kalihna ou galibi, wayana, etc.) avec les membres de sa communauté. On compte trois familles linguistiques amérindiennes en Guyane française: la famille arawak (les Arawak et les Palikour), la famille caribe (les Kalihna et les Wayana) et la famille tupi-guarani (les Emerillon et les Wayampi).
Avant la colonisation européenne, les langues amérindiennes de la Guyane se portaient bien. Aujourd'hui, à cause de l'émigration de beaucoup d'Amérindiens à l'extérieur de leur territoire ancestral, ces langues sont davantage exposées à l'extinction (en raison du nombre de plus en plus réduit de leurs locuteurs). Toutefois, la culture amérindienne est demeurée très vivante. La plupart des Amérindiens, particulièrement ceux habitant la forêt équatoriale dense du Sud, ont su conserver leurs traditions et leurs langues parce qu'ils ont été peu touchés par la civilisation blanche, les difficultés de pénétration du territoire étant considérables.
Parmi toutes ces langues, le kalihna (ou galibi) de la famille caraïbe semble avoir plus de chance de survivre, car le nombre de ses locuteurs atteindrait les 10 000 avec les pays voisins: Surinam (2500), Guyana (475), Brésil (100), Venezuela (5000). Les Amérindiens savent généralement un peu de français.
Depuis quelques années, les peuples amérindiens de la Guyane cherchent à obtenir des droits territoriaux de la part du gouvernement français ainsi qu’à faire reconnaître leur identité comme «peuples distincts». Pour le moment, la France ne reconnaît pas de droits territoriaux aux Amérindiens et les territoires visés ont été classés comme des domaines privés appartenant à l’État (ou propriétés dites domiennes [DOM]). Pour les autorités françaises, il n’existe donc pas, juridiquement parlant, de «peuples distincts» en Guyane, mais plutôt des «populations primitives» (1952) ou des «populations tribales» (1970), sinon des «Amérindiens de la Guyane française» (1984) et des «Communautés tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt» (1987), tout cela pour éviter de dire «peuples autochtones», selon l’expression utilisée dans le droit international. Néanmoins, le décret foncier du 14 avril 1987 émis par le gouvernement métropolitain accorde une certaine protection aux Amérindiens en permettant au préfet de Cayenne de prévoir «la concession de zones de parcours aux communautés d’habitants tirant traditionnellement leur subsistance de la forêt».
Toutefois, ce timide engagement de la Métropole en faveur des Amérindiens irrite quelque peu les Guyanais d’origine qui craignent les revendications spécifiques de la part de chacune des nombreuses autres minorités du territoire. Dans leur ensemble, les Guyanes (française, hollandaise et anglaise) sont assez retardataires en ce qui concerne les droits des Amérindiens vivant sur leur sol: en effet, ces derniers sont démunis de tout pouvoir, et ce, même s’ils occupent l'essentiel du territoire. À défaut de structures officielles (même consultatives) exprimant les intérêts autochtones, il existe des associations amérindiennes vouées à la revendication de leurs droits, notamment l’Union des peuples amérindiens de la Guyane (UPAG), l’Association des Amérindiens de Guyane française (AAGF) et la Fédération des organisations amérindiennes de Guyane (FOAG).
Les Asiatiques et les autres
Pour leur part, les communautés asiatiques (environ 8 % de la population) sont arrivées à partir de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ce sont des Chinois (env. 7000 personnes) originaires de Taiwan, de Singapour, de Hong-Kong, du Vietnam et de la Chine continentale; cette société très fermée sur elle-même parle surtout le chinois hakka (en moins important: le cantonais, le min et le yan) et règne sur les petits commerces de détail; le chinois mandarin, en tant que langue de prestige, est enseigné par l’Association culturelle chinoise. À ces immigrants asiatiques s’ajoute une petite communauté de quelque 1000-2000 Libanais (ou Syro-Libanais) arrivés en même temps que les Chinois; les Libanais semblent aujourd’hui compenser leur relative faiblesse numérique par leur poids économique important.
Après 1977, se sont présentés des Hmong (env. 3000) réfugiés du Laos et vivant repliés sur eux-mêmes, essentiellement à Cacao (sur le littoral); ces ex-Laotiens sont devenus dans leur nouveau pays de grands fournisseurs de légumes frais. Pour ce qui est des Hmong, il existe deux catégories de Hmong: les Hmong blancs et les Hmong verts. Il y a même des Hmong bariolés. Mais les Hmong verts ne prononcent pas le H- initial et ils revendiquent d'écrire Mong, sans le H. Le parler hmong blanc (ou hmong daw) et le parler hmong vert (ou hmong njoua) sont grammaticalement similaires, mais ils peuvent être un peu différents aux points de vue lexical et phonétique. Le mot njoua est à l'origine une orthographe phonétique créée pour indiquer aux non-Hmong comment se prononce «vert» en hmong (et orthographié nruab en alphabet hmong), que certains sociologues ou anthropologues ont repris comme étant une appellation attestée des Hmong verts en en ignorant totalement l'origine de la création du mot. Quant au mot daw, il s'agit, d'après M. Chô Ly de l'Université de Strasbourg II, d'une orthographe peu réussie du mot «blanc» en hmong (qui s'écrit en fait dawb). Or, daw(b) n'a pas la même fonction d'indication phonétique que njoua, car il est prononcé [daeu].
En Guyane française, le hmong blanc domine largement le hmong vert, avec comme résultat que la plupart des Hmong verts ont adopté le hmong blanc comme langue propre, car il est parlé par la grande majorité des Hmong guyanais. Même les Hmong bariolés parlent le hmong blanc. En dépit de l'omniprésence du français et du créole, les Hmong ont su préserver leur langue ancestrale. C'est que les Hmong sont regroupés dans trois villages exclusivement hmong: Cacao, Javouhey et Rococoua. Ils ne sont en contact avec les autres Guyanais qu'à l'école et au marché. Au Vietnam, on distingue des Hmong blanc, des Hmong verts, des Hmong noirs, des Hmong rouges et des Hmong bariolés. Le tableau qui suit peut aider à identifier les différents groupes.
Jupe
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Coiffure
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Hmong blancs | Tissu écru | Tête rasée sur le pourtour, touffe au sommet, turban |
Hmong verts | Couleur indigo | Cheveux longs tombant sur les épaules, chignon après le mariage |
Hmong noirs | Couleur indigo | Cheveux longs, turban |
Hmong rouges | Couleur indigo, broderies | Cheveux longs, pris dans une coiffe avec des pompons rouges |
Hmong bariolés | Couleur indigo, broderies | Cheveux longs mêlés à des cheveux postiches, foulards de couleur rouge ou verte |
Chacune des communautés «asiatiques» de la Guyane utilise sa langue maternelle pour communiquer avec ses membres, mais la langue véhiculaire de la plupart de ces communautés reste le chinois hakka et le créole guyanais (intercommunautaire), parfois le français.
Plusieurs immigrants proviennent des pays voisins. En effet, la Guyane compte une communauté importante de Brésiliens (env. 10 000 personnes) parlant principalement le portugais (ou un mélange de créole et de portugais) et une petite communauté de Surinamiens (12 000) parlant soit le créole surinamien, soit le javanais, soit une langue bushinenguée.
Des tensions entre autochtones et immigrants
En raison du caractère composite d’une si petite population — presque unique au monde — et des inévitables inégalités sociales, la Guyane française connaît certaines tensions, particulièrement entre les créolophones guyanais, qui se sentent menacés, et les créolophones immigrants de plus en plus nombreux, mais aussi entre les premiers et les Blancs, les Asiatiques, voire les Amérindiens.
Seuls les créolophones guyanais et les Amérindiens se considèrent comme «autochtones» dans ce pays. Or, l’ensemble des «étrangers» représente une partie considérable de la population guyanaise: plus de 45 % (et probablement davantage avec la présence des clandestins). En 1995, la préfecture de Cayenne estimait la population totale de la Guyane à 150 000 personnes (et 170 000 en 1997), dont 70 000 «étrangers», parmi lesquels il y aurait 30 000 «sans-papiers» ou immigrants clandestins. Or, ceux qui sont perçus comme «étrangers» par les Guyanais peuvent aussi bien être de «nationalité française», tels que les Métropolitains, les Martiniquais et les Guadeloupéens, que des immigrés provenant d’autres pays tels que Haïti, la Guyana, le Surinam, le Brésil et les pays asiatiques.
Dans l’état actuel des choses, les villes de Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou et quelques autres sont pourvues de quartiers à très forte densité immigrée. Quant aux «sans-papiers», ils travaillent ouvertement «au noir» dans les secteurs de la construction, de l’abattage des arbres et de l’exploitation de l’or (ou orpaillage, en particulier de gisements d'origine alluviale), sans compter les milliers d’entre eux qui, grâce à la sous-traitance, ont contribué à l'édification de la base spatiale de Kourou. Les créoles immigrés et les clandestins vivent le plus souvent dans des quartiers sans équipements sanitaires et constituant d’infects bidonvilles. En Guyane française, les différents groupes ethniques forment tous des minorités vivant dans des mondes parallèles, mais si la plupart des communautés créolophones communiquent aisément entre elles, d'autres groupes ne s'interpénètrent que difficilement (Amérindiens, Asiatiques, etc.). Ajoutons aussi qu'en Guyane, il existe trois villes importantes: Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni et Kourou. Or, chacune d'elles possède son histoire linguistique et ethnique. Par comparaison, on peut dire que Cayenne est une ville plutôt sud-américaine; Kourou, une ville plutôt européenne; Saint-Laurent, une ville plutôt... guyanaise.
On pourrait résumer ironiquement la situation en disant que les Blancs sont d’abord les représentants de l’ordre (préfet, hauts fonctionnaires, gendarmes, médecins, anthropologues, etc.), puis les grands patrons des entreprises, les experts techniciens et les scientifiques; pour leur part, les créolophones d’origine guyanaise (peu tentés par les emplois industriels) contrôlent les postes administratifs et les services locaux; les Amérindiens restent toujours de formidables chasseurs et piroguiers; mais ce sont les Chinois qui règnent sur les commerces de détails, les Hmong qui font pousser les légumes, les Surinamiens et les Brésiliens qui triment dur sur les chantiers, les Haïtiens qui débroussaillent les jardins et ramassent les ordures, etc., sans parler des femmes haïtiennes et brésiliennes qui font le ménage (au noir). On pourrait ajouter que les Américains exploitent la crevette, les Vénézuéliens, le vivaneau, alors que les Canadiens (GUYANOR, CAMBIOR, ASARCO) exploitent les grosses compagnies minières. Avec un chômage réel qui touche 40 % de la population, on peut comprendre pourquoi les immigrants sont devenus des «indésirables», et ce, d’autant plus qu’ils sont à l'origine d'environ 60 % des naissances. Les Guyanais croient aussi que les immigrants surinamiens brésiliens apportent de la violence avec eux.
Se sentant menacés, les Guyanais d’origine accusent la métropole de pratiquer une politique trop souple à l’égard des immigrants, notamment en matière de main-d’œuvre où le travail au noir est une pratique courante et ouvertement tolérée, d’ignorer les spécificités guyanaises (en matière scolaire) et de ne pas assez investir dans l’économie de la région. Pour le moment du moins, l’État semble pratiquer la politique de l’autruche. Pour sauver les apparences, policiers et gendarmes défoncent presque quotidiennement les portes de domicile des illégaux pour procéder à des contrôles d'identité, alors que le travail au noir constitue une pratique imposée aux immigrés depuis fort longtemps, sans que les autorités compétentes envisagent même un effort de règlement. En effet, les administrations et les patrons gèrent d'un accord tacite ce système très rentable dans une économie fragile.
Pendant ce temps, l'immigration, légale ou clandestine, se poursuit, et les tensions entre créoles guyanais et immigrés augmentent, ce qui ne présage rien de bon. L’État a beau renforcer la présence des forces de sécurité et multiplier les opérations de reconduite aux frontières, les prisons sont pleines à 300 % et il semble impossible, étant donné le nombre, de sanctionner tous les «sans-papiers». L'intégration culturelle, économique et sociale constitue un problème fondamental en Guyane puisque cette intégration entre les différents groupes sociaux cloisonnés reste encore à faire. C’est pourquoi il convient davantage de parler de société pluriculturelle et pluriethnique que d’une «société guyanaise». Alors que les identités créoles, amérindiennes, bushinenguées, etc., s’affirment de façon assez tranchée, la guyanité semble une notion encore incertaine et floue dans ce pays.